Par Lisa Conrard
Le Technion voyage dans l’espace
De nouveaux composants optiques, un dispositif de localisation de sursauts gamma et un moteur à satellite miniaturisé : 3 projets du Technion seront testés dans l’espace.
Le 21 février 2022, l’israélien Eytan Stibbe s’envolera pour une mission historique à bord de la Station spatiale internationale (ISS) : la mission Rakia. Cette dernière constitue le segment israélien d’Ax-1 d’Axiom Space, toute première expédition entièrement privée au sein de l’ISS. Le vol sera opéré par l’entreprise américaine SpaceX pour une durée estimée de 10 jours. L’équipage se compose de quatre membres : le commandant Michael Lopez-Alegria, ancien astronaute de la NASA et Vice-Président d’Axiom Space, accompagné de ses coéquipiers, Larry Conor, Mark Pathy et Eytan Stibbe, investisseurs et entrepreneurs.
Pour cette mission, 44 projets israéliens seront testés, dont trois issus du Technion –Israel Institute of Technology. Ces expériences ont été minutieusement sélectionnées par un comité scientifique et technologique, nommé par la fondation Ramon et par le ministère israélien des Sciences et Technologies.
Eytan Stibbe sera donc chargé de réaliser ces diverses expériences à bord de la station, permettant ainsi aux chercheurs et entrepreneurs israéliens d'étudier la faisabilité et la viabilité de leurs projets. Comme le précise le communiqué de presse, cette mission spatiale inédite permet de surmonter l'un des principaux obstacles de l'industrie aérospatiale, à savoir le coût élevé des heures de vol des astronautes pour effectuer les recherches.
Selon Moran Bercovici, professeur de la faculté de Génie Mécanique du Technion, cette mission est une véritable « décharge d'adrénaline - Il s'agit d'une opportunité extraordinaire à tous les niveaux. Le calendrier est fou, les défis sont immenses, mais nous allons y arriver ; c'est dans notre ADN israélien, c'est ce que nous faisons de mieux. »
La mission Rakia a plusieurs objectifs. Il s’agit avant tout de faire progresser la recherche et les équipements spatiaux. Le second but de cette mission à portée internationale est d’accroître la visibilité d’Israël dans le secteur de l’aérospatial. Enfin, un autre objectif est de permettre aux jeunes israéliens d’accéder à des activités éducatives diversifiées. Ce sera en effet la première fois que des enfants et des jeunes israéliens auront accès aux différentes recherches réalisées à bord de la Station spatiale internationale, en hébreu.
Eytan Stibbe est un homme d'affaires israélien né le 12 janvier 1958 à Haifa. Il sera le deuxième astronaute israélien envoyé dans l'espace après Ilan Ramon, décédé au retour de son unique mission dans la navette Columbia en 2003. Après sa carrière de pilote dans l'armée israélienne qui aura duré 33 ans et l'aura mené jusqu'au grade de colonel, il fonde et dirige Vital Capital Fund, un fonds d'investissement spécialisé dans le développement de l'Afrique subsaharienne. Il est également membre-fondateur de la fondation Ramon, qui a participé au lancement de la mission Rakia. Source : Axiom Space
Zoom sur les 3 projets du Technion
Une nouvelle manière de concevoir les composants optiques
La première expérience qui sera testée à bord de l’ISS est l’expérience FLUTE (Fluidic Telescope Experiement). Elle a été mise au point par des chercheurs de la faculté de génie mécanique du Technion : Valeri Frumkin, Mor Elgarisi et Omer Luria, sous la direction du Professeur Bercovici, en collaboration avec une équipe de chercheurs de la NASA, dirigée par Edward Balaban. Cette expérience s’appuie sur l’exploitation de l’environnement de microgravité. L’objectif est de parvenir à fabriquer des lentilles de haute qualité en donnant aux fluides les formes géométriques souhaitées pour pouvoir les solidifier par la suite. Selon le communiqué de presse, une démonstration réussie à bord de l’ISS ouvrirait la voie à la fabrication de composants optiques avancés dans l’espace et permettrait de concevoir de nouveaux télescopes spatiaux très imposants, capables de surmonter les contraintes de lancement actuelles.
Un dispositif innovant pour localiser les sursauts gamma
Un second projet issu des laboratoires du Technion sera également testé à bord de l’ISS. Ce projet, développé par les équipes du Professeur Ehud Behar et du Professeur Shlomit Tarem du Département de Physique du Technion, dirigées par le doctorant Roi Rahin, est un dispositif de localisation des sursauts gamma, nommé GALI. Les sursauts gamma sont des phénomènes découverts récemment et qui commencent seulement à être expliqués. Ce sont pourtant les explosions les plus lumineuses observées dans l'Univers. Selon la théorie dominante, ils seraient produits par des étoiles explosant en supernova, ainsi que par la collision d'étoiles à neutrons. Des ondes gravitationnelles sont aussi produites par ces deux événements, ce qui rapproche l’étude de ces dernières avec celle des sursauts gamma. Le défi majeur auquel sont confrontés les scientifiques est la localisation précise et rapide du sursaut gamma, ce qui permettrait ensuite à tous les astronomes de diriger leurs télescopes vers cet événement afin de l’observer et de l’étudier. GALI améliore les détecteurs précédents en utilisant des capteurs bien plus petits et disposés dans un réseau 3D innovant. C'est grâce à cette disposition unique que ce nouveau dispositif promet d'être plus précis dans ses capacités de direction et de localisation.
Un moteur à satellite miniaturisé
Enfin, le troisième projet testé à bord de l’ISS est un projet de l'Aerospace Plasma Lab, dirigé par le Dr Igal Kronhaus de la Faculté de Génie Aérospatial du Technion. Ce laboratoire développe un moteur minuscule pour les CubeSats, des satellites miniatures qui pèsent entre 1kg et 10kg et qui sont constitués de modules cubiques de 10 cm ×10 cm × 10 cm. Le moteur, appelé "Inline-Screw-Feeding Vacuum-Arc-Thruster", ainsi que son système d’alimentation en carburant ne sont pas plus gros qu'un doigt, mais peuvent fournir une impulsion suffisante pour maintenir un vol de satellites en formation pendant des mois voire plus. Le petit fil de titane qui sert de combustible peut être tenu en toute sécurité dans la main. Le moteur sera placé à l'extérieur de la Station spatiale internationale et fonctionnera dans les conditions du vide spatial avec des températures extrêmes.
Israël, nouvelle superpuissance spatiale ?
En parallèle des trois projets mentionnés, deux autres expériences issues du Technion seront également testées : l'une provient d'Aleph Farms, une start-up spécialisée dans la conception de viande cellulaire. La technologie d'Aleph Farms a été développée par la Professeure Shulamit Levenberg, à la Faculté de Génie Biomédical du Technion. La start-up a souhaité tester sa capacité de production dans les conditions les plus extrêmes afin de pouvoir répondre au besoin urgent d’autosuffisance alimentaire à toute épreuve.
L'autre expérience est issue d'OncoHost, une start-up spécialisée dans le traitement personnalisé du cancer, développée par le Professeur Yuval Shaked de la Faculté de Médecine Rappaport du Technion. Il s’agit d’examiner les cellules T de l’organisme afin d'analyser les réponses physiologiques observées lorsque le corps est exposé à des conditions extrêmes. L’objectif est de préserver et restaurer les fonctions immunitaires des astronautes, ce qui permettra de prolonger les missions.
Une chose est sûre : si ces diverses expériences sont menées à bien, la mission Rakia pourrait propulser Israël en tant que nouvel acteur majeur de l’industrie spatiale. En apportant une réponse novatrice à des problèmes scientifiques existants, cette mission pourrait ouvrir la voie à de nouvelles opportunités.