Si les différents acteurs des marchés financiers et du système bancaire global n’envisagent plus leurs activités en dehors de l’enjeu environnemental, c’est qu’ils ne s’y trompent pas : il s’agit bien du défi du siècle à venir, en termes économiques et sociaux. Si les questions de financement sont au cœur des problématiques de société, ce changement de paradigme que constituent la « finance verte » et les investissements dits « responsables » est une bonne nouvelle !
Par Ambre Lerebourg
La green finance vise à accélérer la transition énergétique ; le terme désigne l’ensemble des actions ou réglementations financières ayant un objectif environnemental. La première obligation verte a été émise à San Francisco en 2001. Le phénomène a été repris par la Banque européenne d’investissement et la Banque mondiale en 2008. C’est en 2015, lors de l’accord de Paris sur le climat, que la green finance connaît un véritable essor. Ce phénomène est corrélé au développement des critères ESG, critères de sélection des investissements écologiques et socialement responsables fondés sur l’impact environnemental, l’impact social et le mode de gouvernance. Selon Climate Bond Initiative, les émissions d’obligations vertes ont atteint un record de 269,5 milliards de dollars à la fin de décembre 2020, juste au-dessus des 266,5 milliards de dollars de 2019 (en 2018, elles atteignaient 171,4 milliards de dollars). Les capitaux levés en 2019 ont essentiellement été affectés aux énergies renouvelables (32 %), aux bâtiments écologiques (29 %) et aux transports (20 %). L’investissement responsable, qu’il utilise des critères d’exclusion ou de restriction, ou encore qu’il réponde à des objectifs de développement durable, évolue pour se placer au coeur des priorités des entreprises.
Afin de comprendre ces différents enjeux, Yannick Ouaknine, qui dirige l’équipe de recherche développement durable de la Société générale Global Markets, revient sur son expérience et les grandes tendances de la finance durable.
L’Arche: Comment définir la finance durable?
Yannick Ouaknine: « Finance durable » est un terme général qui fait référence à la pratique consistant à considérer des critères « extra-financiers », en plus des critères financiers, lors de l’analyse, de la sélection et de la gestion des investissements. Ces critères ESG (pour « environnementaux, sociaux et de gouvernance ») sont bien connus aujourd’hui.
Comment intégrer ces fameux critères ESG?
La prise en compte de facteurs ESG offre une vision à 360 degrés des opportunités et des risques liés à des enjeux qui, historiquement, n’étaient pas pris en compte de manière systématique. Les critères ESG constituent la première barrière quand on parle d’investissement responsable. Il faut se mettre d’accord sur la définition, qui n’existe pas vraiment, du moins au niveau international. Tout le monde s’accorde sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise. Mais, si on veut entrer dans le détail, on s’aperçoit qu’il existe un nombre de biais culturels qui font que l’intégration est plus complexe que pour d’autres thématiques. Le défi, aujourd’hui, c’est de valoriser ces critères de la meilleure manière possible, et c’est là toute la complexité de l’exercice. Un même sujet n’aura pas les mêmes impacts dans un secteur ou dans une société avec une capitalisation boursière différente.
Pourquoi les critères ESG sont-ils devenus incontournables?
Demain, les critères ESG deviendront complémentaires aux critères financiers en termes d’analyse financière et d’intégration. La question n’est plus « pourquoi nous devons répondre à ces critères ? » mais plutôt « comment et de quelle manière ? ». Cela fait plus d’une quinzaine d’années que je travaille sur ces problématiques. Le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur au début des années 2000, pour plusieurs raisons. D’une part, la volonté de certains investisseurs d’aligner leurs valeurs avec leurs investissements, ainsi que la volonté des banques de prendre en compte et de contrôler ces différents critères lors d’un investissement. D’autre part, la réglementation, qui émet, depuis à peu près une quinzaine d’années, des textes visant à davantage de transparence et de communication de la part des émetteurs. Le fait le plus marquant, le catalyseur, dirais-je, pour l’intégration de tous ces paramètres a été l’établissement d’une corrélation entre la prise en compte de ces paramètres et la création de valeur ou la réduction des risques. Ce qui a vraiment déclenché l’intérêt des investisseurs, c’est cette capacité à corréler l’impact de la prise en compte de ces différents critères dans le cadre d’une valorisation financière. Les investisseurs sont des personnes pragmatiques ; à partir du moment où une corrélation est établie, ils vont intégrer ces critères et pousser les émetteurs à recourir à plus de transparence pour chaque projet d’investissement. Il y a donc une tendance de fond de la part des émetteurs et des investisseurs, qui mettent en place des équipes dédiées afin de travailler sur ces problématiques. Ce qui nous est demandé, c’est de faire le tri entre les différents sujets sociétaux auxquels est confrontée l’entreprise et au sujet desquels on attend d’elle une réponse transparente.

“Faire le choix d’un investissement ESG n’a pas d’incidence négative sur la performance, au contraire ! De nombreuses sociétés du CAC 40 mettent en avant la dimension de durabilité, de responsabilité sociale et environnementale, pas uniquement à des fins marketing, surtout à des fins de réalité financière.”
Retrouvez ces questions et d’autres grandes questions autour de l’innovation responsable lors de la grande journée du Technion France, le 19 mai prochain.