Sous les tirs de roquettes, et alors que de nombreux startupers sont mobilisés, le secteur unit ses forces et l’innovation continue.
Continuer à innover, à créer, continuer à entreprendre coûte que coûte… C'est l'obsession des entrepreneurs d'Israël depuis l'attaque du 7 octobre. Dans ce pays qui se définit lui-même comme la « nation start-up » et qui, au sein des pays de l'OCDE, consacre le plus important pourcentage de sa richesse nationale à la recherche, la résilience est une valeur clé.Cet État de 9,3 millions d'habitants qui compte 140 ingénieurs pour 10 000 actifs (contre 85 aux États-Unis), a réussi à envoyer le plus d'entreprises au monde au fameux Nasdaq. Il excelle dans de multiples domaines, de la biologie à l'électronique, en passant par l'aéronautique, la chimie, l'agronomie… « Les valeurs de la tech israélienne puisent leurs racines dans la fameuse chutzpah [l'“audace”, en hébreu]. De cette chutzpah découlent la résilience, l'adaptabilité, la créativité, le désir de se développer internationalement », ont expliqué quelque 500 entrepreneurs français dans une lettre ouverte, après les massacres du 7 octobre, signée notamment par Tatiana Jama, la fondatrice de Sista, Marc Menasé, le cocréateur de Founders Future, ou encore l'investisseuse Stéphanie Hospital.
Cours du bitcoin. Pour bien mesurer cet esprit d'innovation et de débrouillardise, direction Tel-Aviv, au siège de Zengo. Dans le quartier de Sarona, connu pour son marché couvert, ses bars à bières artisanales ou encore ses caves du XIXe siècle construites par les Templiers, se trouvent aussi les antennes locales de Meta – la maison mère de Facebook –, d'Amazon ou d'Intel. C'est ici que l'entrepreneur franco-israélien Ouriel Ohayon a installé sa start-up, qui a mis au point un portefeuille pour cryptomonnaies, comme le bitcoin et l'ethereum, à même de sécuriser ces dernières contre les hackeurs ou les vols.
Tandis que le cours du bitcoin est au plus haut, la détermination d'Ouriel Ohayon est intacte. « Le 7 octobre a été l'attaque la plus brutale et la plus barbare de l'histoire du pays, explique-t-il. Beaucoup de startupers ont été appelés pour aller combattre le Hamas. Évidemment, on a tous eu un gros coup au moral. Sur le plan professionnel, nous avons mis de côté ce qui n'était pas urgent et prioritaire et organisé toutes nos réunions en visio. Au cours d'une réunion de préparation de notre budget 2024, nous étions bloqués sur une question complexe. Soudain, les sirènes d'alerte aux roquettes ont commencé à retentir… Nous nous sommes brutalement arrêtés pour nous réfugier dans les abris sécurisés, et nous avons finalisé cette réunion alors que les roquettes s'abattaient sur nous et que le dôme de fer faisait son travail. » L'entrepreneur poursuit : « J'ai été stupéfait de la capacité de nos équipes à maintenir le cap : le mois d'octobre 2023 a été notre meilleur mois en matière de performances depuis notre lancement. J'ai observé un sens de l'unité et de la fraternité comme ce pays n'en a jamais connu, un sens aigu de l'urgence et de l'efficacité en conditions hostiles, une mobilisation sous toutes les formes pour s'aider les uns et les autres, notamment par le biais des donations… »
Entraide. Au sud de Tel-Aviv, l'un des vice-présidents de Swish, qui commande un bataillon de combattants, a été mobilisé immédiatement après l'attaque du Hamas. « Les autres vice-présidents ont tout de suite assumé ses responsabilités, en plus de toutes les autres », explique Sébastien Adjiman, le PDG de cette entreprise spécialisée dans l'intelligence artificielle. On observe cet esprit de résistance partout. Comme à Rehovot, au siège d'Aleph Farms. Cette entreprise de biotechnologie, dans laquelle a investi l'acteur américain Leonardo DiCaprio, a été créée par le biologiste franco-israélien Didier Toubia avec Shulamit Levenberg, de la Faculté d'ingénierie biomédicale du Technion, une des plus belles universités du pays, et qui s'apprête à célébrer son 100e anniversaire.
L'idée ? Produire de la viande propre à la consommation en s'appuyant sur la culture de cellules animales. « Environ 15 % des employés d'Aleph Farms ont été mobilisés par l'armée. Nos équipes ont fait preuve d'une grande détermination et d'une énorme capacité d'entraide », explique Didier Toubia. Après l'attaque terroriste du 7 octobre, l'appel des réservistes les a pris de court et ils ont dû improviser. Il cite l'exemple de Neta, la cofondatrice de son entreprise, qui a remplacé du jour au lendemain une laborantine dont le mari était mobilisé et qui avait dû rester auprès de leurs jeunes enfants, car les écoles étaient fermées. « Nous nous sommes tous serré les coudes. L'entraide dont notre équipe a fait preuve m'a rendu fier de la culture de notre entreprise et du pays tout entier », constate Didier Toubia.
Protéger. Continuer à faire du business comme si de rien n'était ? Est-ce seulement possible ? « Il nous arrive de devoir quitter un rendez-vous sur Zoom de manière brutale… et nous revenons dix minutes plus tard en expliquant à nos interlocuteurs que nous avons été la cible de roquettes du Hamas. »
On observe aussi cet état d'esprit au sein des universités. « Ce sont des moments difficiles pour nous, à la fois parce que nous sommes ébranlés et qu'une grande partie de la communauté du Technion, y compris les chercheurs, le personnel et les étudiants, a été appelée à protéger notre pays. Cette situation nous ralentit, voire interrompt, certaines de nos activités. Dans le même temps, nous trouvons des moyens d'unir nos forces, par exemple par le biais de collaborations entre laboratoires. Un professeur du département de physique conseille actuellement l'équipe de recherche d'un collègue professeur de génie électrique qui est mobilisable », explique Lihi Zelnik-Manor, vice-présidente exécutive chargée de l'innovation et des relations avec l'industrie au Technion. Une professeure précise : « Nous avons aidé les agriculteurs locaux à ramasser poivrons, tomates et aubergines, parce qu'ils n'avaient plus de main-d'œuvre disponible. Des professeurs ont multiplié les cours de robotique pour changer les idées des enfants évacués de Bror Hayil, Sdérot et Shlomi, des villes déplacées à Haïfa. »
Par Guillaume Grallet, publié le 23/11/2023