Il fallait une certaine dose de culot pour se lancer dans la bataille mondiale de la viande cultivée. Un filon ultra- tendance auquel croient des philanthropes ou des milliardaires tels que Bill Gates, Richard Branson ou encore Sergey Brin, qui ont chacun investi dans les sociétés pionnières de la « clean meat », à savoir la startup californienne Memphis Meats et la hollandaise Mosameat.
Or de l'audace, ou plus exactement de la « chutzpah » - terme yiddish employé en Israël - l'ingénieur et entrepreneur Didier Toubia, sous son air posé, n'en manque pas. Ce quadra d'origine parisienne a cofondé, voilà tout juste un an, la société israélienne Aleph Farms, dont l'objectif est ni plus ni moins de produire le premier steak de boeuf cultivé en laboratoire.
« L'idée, à l'horizon 2021, est de proposer un produit qui reproduise la structure de la viande de la manière la plus fidèle possible, alors que les sociétés concurrentes développent une pâte de protéines servie sous forme de hamburger ou de nuggets », explique Didier Toubia, qui, au 1er juin, a été nommé PDG à plein temps de la start-up, basée dans la banlieue sud de Tel-Aviv, dans un laboratoire du parc scientifique de l'Institut Weizmann.
« Je me suis toujours investi dans des projets innovants qui ont un impact positif sur les hommes ou sur la planète », confie-t-il. Par le biais d'Aleph Farms, qui ne cible pas les végétariens, l'entrepreneur espère séduire les consommateurs ayant décidé de manger moins de viande (« flexitariens », en jargon).
La jeune pousse promet de concevoir une viande saine, sans hormones et sans antibiotiques, grâce à une méthode respectant l'environnement comme le bien-être des animaux.
Sur ce sujet, ce père de trois enfants, installé depuis plus de vingt ans en Israël, et dont l'épouse est originaire d'une famille d'agriculteurs de l'Equateur, semble intarissable. « Au sein d'Aleph Farms, on se voit comme des agriculteurs modernes, dit-il. Et dans la mesure où la viande cultivée - issue d'une technologie complémentaire - ne va pas remplacer la viande classique, il faudra aussi réfléchir à la façon dont ceux qui nourrissent la planète pourraient être associés. »
Afin de concrétiser cette vision, Didier Toubia dispose de soutiens de choix. Aleph Farms a vu le jour (sous le nom de Meat the Future) sous les auspices de l'incubateur The Kitchen, spécialisé dans la foodtech et opéré par l'industriel Strauss, l'un des leaders israéliens de l'agroalimentaire.
Ce groupe, qui compte pour partenaires Danone et PepsiCo (aux Etats-Unis), est aussi devenu l'un des premiers investisseurs de la jeune pousse, qui a levé près de 2,5 millions de dollars auprès de fonds d'investissement européens et américains lors de sa phase d'amorçage.
Sur le plan scientifique, elle s'appuie sur l'expertise de Shulamit Levenberg, une chercheuse du laboratoire d'ingénierie tissulaire de l'Institut Technion, basé à Haïfa, qui dispose d'une notoriété mondiale dans ce domaine. « Nous sommes les seuls à tenter de cultiver quatre types de cellules sur notre plate-forme pour répliquer la texture de la viande », précise Didier Toubia, qui, au sein de la jeune pousse, « s'occupe de tout sauf de la R&D».
Pour ce faire, cet adepte de krav-maga (sport de combat israélien) affiche de nombreuses cordes à son arc. Passé par les rangs de l'école Agrosup Dijon, spécialisée en agronomie, titulaire d'un master de l'ESCP comme d'un MBA conjoint de l'université Northwestern et de l'Université de Tel-Aviv, il a commencé sa carrière israélienne en tant que coopérant chercheur au sein de l'Institut Volcani, un leader mondial en recherche agronomique.
Après un démarrage comme chargé d'investisseurs, il cofonde ou dirige plusieurs start-up dans le domaine des sciences de la vie, dont IceCure Medical (pour le cancer du sein et de l'utérus) introduite à la Bourse de Tel-Aviv, ou encore NLT Spine (la chirurgie du rachis), revendue avec succès à SeaSpine.
Co-inventeur de plus de 40 brevets, l'entrepreneur, qui a levé 45 millions de dollars dans ses différentes aventures, a du coup été choisi comme l'un des « ambassadeurs de la French Tech » en Israël.« Didier combine des compétences d'ingénieur et de manager de très haut niveau. Il s'engage sur du très long terme, dans des projets à fort impact sociétal », estime Patricia Lahy-Engel, directrice de l'innovation sociale au sein de l'Autorité de l'innovation israélienne et l'une des forces motrices du hub « French Tech Israël ».
« Ce qui me motive le plus, c'est d'améliorer le futur des jeunes générations », admet l'intéressé, qui ne perd jamais une occasion de passer du temps en cuisine pour tester des recettes avec ses enfants.
Dans les mois à venir, il compte boucler le prochain tour de financement d'Aleph Farms (Serie A) avec, pour ambition, de trouver des partenaires stratégiques européens. Tout en accompagnant le développement de deux autres start-up, lancées par ses soins, l'une spécialisée dans la réduction de sucre et l'autre dans les substituts de protéines animales. De quoi lui permettre de continuer à cultiver la fibre multitâche...
Nathalie Hamou
Source : Les échos
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