Les cellules souches peuvent-elles être identifiées et étudiées dans les tissus matures ? Comment nos organes font-ils face à la fois au besoin de renouvellement fréquent des cellules tissulaires et à la nécessité de protéger les cellules des tissus exposés à des risques environnementaux ?
Tout comme celles de la peau, les cellules de la cornée se dégradent constamment et sont remplacées par de nouvelles cellules issues de cellules souches.
En revanche, contrairement à la peau, la cornée claire ne possède pas les pigments qui protègent notre peau. Elle est donc fortement exposée aux rayonnements nocifs. C'est l'une des raisons pour lesquelles les cellules souches cornéennes sont localisées dans le limbe, la zone étroite entre la cornée transparente et la sclérotique opaque (la partie blanche de l'œil). De nombreuses propriétés de ces cellules souches limbiques (CSL), telles que leur prévalence, leur hétérogénéité et leurs caractéristiques moléculaires, sont largement inconnues. Ce manque de connaissances freine le développement de thérapies basées sur les CSL pour guérir la cécité. En outre, la façon dont les cellules souches font face à différentes contraintes physiologiques est une question clé sans réponse dans la biologie des cellules souches.
Dans le premier article, publié dans Cell Stem Cell, deux niches de cellules souches, structures anatomiques et fonctionnelles, précédemment inconnues ont été découvertes dans la cornée. Chaque niche contient des populations de cellules souches uniques qui assurent leur renouvellement.
Le deuxième article, publié dans eLife, présente le mécanisme de contrôle sophistiqué qui protège la cornée en maintenant un équilibre entre la mort cellulaire et l'auto-renouvellement dans le tissu. L'article examine comment les propriétés fondamentales des cellules souches et des cellules différenciées influent sur le maintien des cellules souches dans une zone éloignée et protégée et sur le taux de renouvellement des cellules. Ces avancées, qui soulignent l'importance de la recherche interdisciplinaire, ont été réalisées grâce à la collaboration entre le laboratoire de recherche du Professeur Ruby Shalom-Feuerstein, spécialisé dans la recherche sur les cellules souches, et le laboratoire du Professeur Yonatan Savir, spécialisé dans la biologie quantitative et la biophysique.
Tracer et identifier
L'étude publiée dans Cell Stem Cell a été dirigée par la Docteure Anna Altshuler et la Docteure Aya Amitai-Lange, du laboratoire du Professeur Shalom-Feuerstein. Elles ont intégré des technologies innovantes, notamment le séquençage de l'ARN au niveau d'une seule cellule, et le traçage avancé des lignées clonales permettant l’identification de tous les "descendants" d'une cellule spécifique. Les résultats sans précédent décrivent les caractéristiques génétiques des cellules souches du limbe et leur lignée complète. Ils montrent que le limbe abrite deux populations de cellules souches situées dans deux niches distinctes qui n'avaient jamais été décrites auparavant et qui ont été baptisées limbe "externe" et limbe "interne". Le limbe interne contient une population de CSL actives, qui se divisent fréquemment et renouvellent régulièrement la cornée. Le limbe externe contient une population de CSL quiescentes, ou dormantes, qui se divisent plus rarement, dont la fonction est de protéger les bords de la cornée, et qui servent de réservoir d'urgence de cellules souches réveillées encas de blessure. L'analyse mathématique de la dynamique de croissance clonale in vivo a suggéré que les populations de LSC sont des cellules équipotentes abondantes qui suivent des règles stochastiques (processus aléatoires) correspondant à une compétition dictant leur survie ou leur extinction. Enfin, l'étude a également découvert une nouvelle fonction des lymphocytes T du système immunitaire qui servent de cellules de la niche du limbe externe et contrôlent la fréquence de division et le processus de régénération des CSL externes.
Entre mortalité et renouvellement
L'une des questions clés de la biologie des cellules souches est de savoir comment les cellules souches peuvent trouver un équilibre précis entre la perte de cellules et le renouvellement optimal du tissu, tout en maintenant sa taille et son intégrité.
La deuxième étude, publiée dans eLife et dirigée par l'étudiant en médecine Lior Strinkovsky et le doctorant Evgeny Havkin (tous deux du laboratoire du Professeur Savir), fut consacrée à ce sujet. Les chercheurs ont développé un modèle mathématique qui décrit la dynamique du renouvellement cellulaire dans la cornée. Ils ont évalué différentes hypothèses par lesquelles les cellules souches pourraient maintenir l'homéostasie des tissus et ont testé leur faisabilité. L'analyse a révélé une relation inhérente entre la durée de vie des cellules cornéennes (le nombre de fois qu'elles peuvent se diviser) et l’impact qu’elles possèdent sur les cellules voisines lors de leur réplication (une cellule qui se divise ne concurrence-t-elle que ses cellules voisines les plus proches ou affecte-t-elle un voisinage plus large ?). Il en résulte notamment que les cellules progénitrices "éphémères", dont on pensait qu'elles avaient une durée de vie de 3 à 4 divisions, pourraient en réalité avoir une durée de vie 10 à 20fois plus longue que ce que l'on supposait auparavant.
"De nombreux tissus de notre corps sont dans un état perpétuel de mort et de renouvellement cellulaire et les cellules souches jouent un rôle crucial dans la capacité des tissus à se régénérer", a déclaré le Professeur Savir. "Cependant, nous ne comprenons pas encore parfaitement comment les cellules souches contrôlent la capacité à générer de nouvelles cellules afin que le tissu conserve sa taille optimale. En outre, la durée de vie des cellules ordinaires joue un rôle important dans le maintien de l'équilibre entre le nombre de nouvelles cellules générées et le nombre de cellules qui meurent. Nos travaux ouvrent la voie à des hypothèses qui peuvent facilement être testées expérimentalement".
Une nouvelle perspective des cellules souches
Les résultats de cette recherche sont d'une grande importance pour la compréhension des propriétés fondamentales des cellules souches dans différents tissus tels que la peau, les muscles, les follicules pileux et la moelle osseuse. Les chercheurs espèrent que la révélation de l'identité et des caractéristiques génétiques des cellules souches du limbe dans cette étude ouvrira la voie à la compréhension des processus de développement des maladies de la cornée et d'autres maladies, dans lesquelles les cellules souches de différents tissus sont endommagées. Cela pourra, espérons-le, conduire également au développement de traitements innovants et de nouvelles technologies pour réparer les organes endommagés, entre autres par l'utilisation de médicaments ciblant les voies génétiques endommagées dans les cellules souches et leur interaction avec les cellules des niches qui les soutiennent.
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