Dès notre naissance, et même avant, nous interagissons avec le monde par des gestes. Nous remuons nos lèvres pour sourire ou pour parler. Nous tendons la main pour toucher. Nous bougeons nos yeux pour voir. Nous nous agitons, nous marchons, nous faisons des signes, nous dansons.
Comment notre cerveau se souvient-il de ce large éventail de mouvements ? Comment en apprend-il de nouveaux ? Comment fait-il les calculs nécessaires pour saisir un verre d'eau sans le laisser tomber, le casser ou le manquer ?
Jackie Schiller, professeur au Technion et membre de la faculté de médecine Ruth et Bruce Rappaport, a analysé, avec son équipe, le cerveau et les neurones individuellement pour éclaircir ce mystère. Ils ont découvert que le traitement d'information ne s'effectue pas seulement lors de l'interaction entre les neurones (cellules nerveuses), mais aussi au sein de chaque neurone. Il s'avère que chacune de ces cellules n'est pas un simple interrupteur, mais une véritable calculatrice à elle seule. Cette découverte, publiée récemment dans la revue Science, promet non seulement des changements dans notre compréhension du fonctionnement du cerveau, mais aussi une meilleure maîtrise de certaines pathologies telle que la maladie de Parkinson ou l'autisme. De plus, ces mêmes découvertes devraient faire progresser le machine learning, en offrant une source d'inspiration pour de nouvelles architectures.
Le mouvement est contrôlé par le cortex moteur primaire du cerveau. Dans cette zone, les chercheurs sont en mesure de déterminer exactement quel(s) neurone(s) sont stimulés à un moment donné pour produire le mouvement observé. L'équipe du professeur Schiller a été la première à s'en approcher encore plus, en examinant l'activité non pas du neurone entier individuellement, mais aussi de ses parties segmentées.
Chaque neurone possède des ramifications appelées dendrites. Ces dendrites sont en contact étroit avec les terminaisons (appelées axones) d'autres cellules nerveuses, permettant la communication entre elles. Un signal passe des dendrites au corps de la cellule, puis est transmis à travers l'axone. Le nombre et la structure des dendrites varient considérablement d'une cellule nerveuse à une autre, comme la couronne d'un arbre diffère de celle d'un autre.
Les neurones, sur lesquels l'équipe du professeur Schiller se sont concentrés, sont les plus volumineux des cellules pyramidales du cortex. Ces cellules, connues pour être fortement impliquées dans la motricité, possèdent un grand arbre dendritique, avec de nombreuses branches, sous-branches et sous-sous-branches. L'équipe a découvert que ces ramifications ne se limitent pas à transmettre des informations. Chaque sous-sous-branche effectue un calcul sur les informations qu'elle reçoit et transmet le résultat à la sous-branche la plus importante. La sous-branche effectue ensuite un calcul en fonction des informations reçues de toutes ses filiales et les transmet. De plus, de multiples branches dendritiques peuvent interagir les unes avec les autres pour amplifier la combinaison de leurs calculs. Le résultat est un calcul complexe effectué au sein de chaque neurone distinct. Pour la première fois, l'équipe du professeur Schiller a montré que le neurone est compartimenté et que ses branches effectuent des calculs de manière indépendante.
"Nous avions l'habitude de nous imaginer chaque neurone comme une sorte de klaxon, qui sonne ou non", explique le professeur Schiller. "Au lieu de cela, nous avons devant nous un piano. Ses touches peuvent être frappées simultanément ou successivement, produisant une infinité de mélodies différentes." Cette symphonie complexe qui se joue dans notre cerveau est ce qui nous permet d'apprendre et d'exécuter une infinité de mouvements différents, complexes et précis.
De multiples troubles neurodégénératifs et développementaux sont susceptibles d'être liés à des altérations de la capacité du neurone à traiter les données. Dans la maladie de Parkinson, il a été observé que l'arbre dendritique subit des modifications anatomiques et physiologiques. Au regard des nouvelles découvertes de l'équipe du Technion, on comprend qu'en raison de ces changements, la capacité du neurone à effectuer des calculs parallèles est réduite. Dans le cas de l'autisme, il semble possible que l'excitabilité des rameaux dendritiques soit détériorée, ce qui entraîne de nombreux troubles associés à cette maladie. Cette nouvelle compréhension du fonctionnement des neurones ouvre de plus amples pistes de recherche sur ces pathologies et autres, dans l'espoir de les traiter.
Ces observations peuvent être une source d'inspiration pour la communauté du machine learning. Comme leur nom l'indique, les deep neural networks tentent de créer des logiciels qui apprennent et fonctionnent de manière similaire au cerveau humain. Même si leurs progrès font constamment la une des journaux, ces réseaux sont primitifs par rapport à ceux de notre cerveau. Une meilleure compréhension du fonctionnement de notre cerveau peut aider à concevoir des réseaux neuronaux plus complexes, leur permettant d'effectuer des tâches plus poussées.
Cette étude a été dirigée par deux des étudiantes candidates au doctorat du professeur Schiller, Yara Otor et Shay Achvat, qui ont toutes deux contribuées à ce projet. L'équipe comprenait également le boursier postdoctoral Nate Cermak (aujourd'hui neuro-ingénieur) et l'étudiante en doctorat Hadas Benisty, ainsi que trois collaborateurs : les professeurs Omri Barak, Yitzhak Schiller et Alon Poleg-Polsky.
L'étude a été partiellement soutenue par la Israeli Science Fundation, les fonds Prince, la Fondation Rappaport et la bourse postdoctorale Zuckerman.
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