La 16ème journée scientifique du Technion France s’est tenue le 10 décembre 2018. Réunissant toujours un panel très varié d’intervenants de grande qualité, cette journée fut empreinte d’une émotion toute particulière car elle fut la dernière conduite avec la participation du Professeur Peretz Lavie qui s’apprête à quitter la présidence du Technion. En quelques mots chargés d’une émotion contenue mais partagée par toute l’assistance, il a dit l’admiration qu’il portait aux étudiants et aux enseignants des facultés du Technion. Sa foi dans les missions du Technion est plus solide que jamais car il a participé à construire un lieu où la connaissance se transmet sans différence d’accès. Quelle que soit l’origine ethnique ou religieuse, le Technion est ouvert à celui qui veut apprendre ou enseigner, pour peu qu’il en ait la capacité, qu’il soit homme ou femme.
La révolution industrielle naît lorsqu’un facteur de production arrive et constitue une transformation radicale.
Depuis la nuit des temps et pour une large part de l’histoire de l’humanité, l’activité de production était manuelle. Puis apparut la vapeur et son cortège de puissantes machines. Puis vint l’électricité qui mit la machine au centre et les hommes autour.En 1915 Henry Ford créait la ligne de production que l’on appelle « fabrication à la chaîne».
Aujourd’hui, l’informatisation et l’automatisation ont envahi le processus de production.Il s’agit désormais de permettre aux ordinateurs de comprendre la production et son environnement avec une intelligence proche de l’intelligencehumaine.
Demain, les ordinateurs eux-mêmes seront productifs et viendront vers nous et nous accompagneront dans notre vie personnelle grâce à une intelligence dite contextuelle.Cela implique que 30 % des métiers vont disparaître mais d’autres apparaîtront. L’organisation du travail sera modifiée tout comme sa structure hiérarchique. Ainsi va apparaître l’innovation collaborative entre recherche, services, industries et organisation locale. Le monde hyperconnecté qui avance implique des responsabilitésnouvelles.
La technologie est à disposition de jeunes entrepreneurs. Si de 1950 à 2015, seules une entreprise sur 10 a survécu, désormais la survie implique que l’entreprise se réinvente pratiquement chaque année. Il faut pour cela donner à tous la compréhension de ce qui se passe, ce que permet l’enseignement. Par ailleurs, la puissance nouvelle doit respecter la personne. Les lois doivent anticiper les évolutions et dire comment on peut manipuler les données et faire en sorte de les manipuler positivement. Ces lois doivent prendre en compte l’éthique c’est à dire l’exigence morale posée par lescitoyens.
Cette question pose celle de l’évolution de la médecine. Le médecin est-il là pour soigner et réparer ou pour modifier la nature des choses ? Le traitement des données fournies en temps réel par une série de capteurs donne au médecin des moyens sans cesse étendus. C’est le cas, par exemple, de stimulateurs cardiaques gérés en continu, dans l’analyse et l’action, par une intelligence connectée. Ils sont capables de détecter et d’anticiper des troubles du rythme cardiaque et les éviter. Apparaît également la cornée artificielle, facilement implantable, qui permettra de rendre la vue à toute une population atteinte de cécité.
Dans le domaine de l’oncologie, l’intelligence artificielle appliquée à la thérapie génique offre de belles perspectives d’accélération des progrès dans letraitement.
Nous allons pouvoir augmenter la capacité cellulaire anti-tumorale. Cependant il ne faut pas se bercer d’illusions. L’informatique fait des progrès mais sur le mode binaire. Le cerveau humain ne fonctionne pas sur le mode binaire. L’informatique doit avoir des limites même si elles ne seront atteintes que dans très longtemps. Les machines ne sont pas capables de penser comme un homme, de trouver des concepts nouveaux. Le cerveau est plus compliqué que la plus élaborée des machines informatiques.
Il a des capacités d’apprentissage et de compréhension très supérieures à la machine. La question est de savoir jusqu’à quel point la machine va imiter le cerveau humain. Le danger est une sorte de dopage informatique du cerveau humain. Cela signifie que notre tentative de dominer la nature est vaine car elle est plus forte quenous.
Il ne faut pas négliger le but de la recherche sur le plan éthique. Des techniques nouvelles qui consistent à modifier des cellules saines avant de les réinjecter pour remplacer des cellules malades donnent des résultats positifs mais il faut veiller à la responsabilité du chercheur dans le domaine de la bioéthique afin que le génome humain ne soit pas modifié à plus ou moins longue échéance. La médecine peut réparer mais il y a un problème avec les actions menées sur des êtres qui ne sont pas malades. Il faut préserver l’autonomie de l’homme, la liberté que lui fournit son cerveau dans son intégrité.
Cependant, l’histoire de l’humanité nous apprend que l’homme ne peut s’empêcher de créer des
« monstres » et de se brûler les doigts c’est à dire de devenir la victime des ses propres inventions. Le développement de l’intelligence artificielle court le risque de suivre cette pente.
Il peut naître de la convergence des pratiques, des biotechnologies et des données. Par le passé, la perception de la maladie dans ses causes et ses développements était simple : le microbe était l’ennemi. On sait maintenant que les facteurs de naissance et de développement de la maladie sont multiples et complexes. Les data permettent de mieux les comprendre et de prévenirplutôt
que guérir. Les composantes du style de vie vont être mêlées au maintien de la bonne santé et aux soins. La façon de s’alimenter est déjà perçue comme déterminante. Ainsi, l’intelligence artificielle va permettre de modifier les recettes de cuisine sans en altérer le goût et les qualités nutritionnelles. Les allergies se développent à grande vitesse, les taux excessifs de cholestérol se multiplient. Les causes sont à rechercher dans les particularités individuelles et dans les styles de vie. On peut recueillir des données et créer des recommandations personnalisées par un logiciel adapté qui définit les décisions personnelles à prendre pour gérer les apports liés à l’alimentation comme le sodium parexemple.
Les gens atteints de maladies chroniques sont de plus en plus nombreux. Nous allons devoir, à cause de cela, modifier notre système de santé en conséquence. La complexité s’accroît mais les solutions progressent aussi comme par exemple l’apparition de pompes à insuline connectées qui fonctionnent en dehors de la nécessité pour le patient de devoir la manipuler grâce au traitement des données de glycémie en continu qui déterminent le volume et le moment des injections.
L’éthique, l’exigence morale collective, appliquée à ces progrès nécessite d’avancer lentement dans le recueil et le traitement des données venant du patient dont l’accord éclairé devra rester impératif. Suivi et applications vont se développer en direction du bien-être. La santé de la peau, par exemple, contribue au bien être car elle est le premier niveau immédiat de contact avec le monde extérieur. L’environnement se fait de plus en plus agressif par les UV et la pollution qui ont des conséquences lourdes à court et long terme. Afin de prévenir, il s’agit de mesurer l’exposition aux UV et de mesurer aussi la pollution.
Des applications apparaissent, se multiplient pour coacher en quelque sorte les individus. Au delà, les progrès en matière de traitement et de maîtrise dans le fonctionnement des médicaments sont considérables comme l’apparition des nanomolécules qui transportent le principe actif vers les récepteurs des cellules tumorales visées sans être rejetées. Les progrès dans la détection des tumeurs avec l’aide de l’intelligence artificielles sont considérables.
Elle amplifie ce que le médecin sait faire de mieux. Il va ainsi falloir former le médecin tout au long de sa vie avec des outils simples et progressifs. Mais ce sera vrai pour tous les métiers.
La question se pose de savoir qui sera le chef d’orchestre de la mise en œuvre des nouvelles technologies en matière de santé. La réponse semble simple : L’individu, qui est maître du choix de son interlocuteur de santé sera toujours celui qui désignera le chef d’orchestre. Ce sera celui qui apportera le meilleur service. La data ne sera qu’un instrument.
La puissance de calcul est un élément majeur. Un smartphone actuel intègre une puissance de calcul 100 fois importante que la capsule qui a conduit l’homme sur la lune en 1969. Si des métiers vont disparaître, d’autres vont apparaître. Le vrai problème est celui de la transition à opérer. A quelle vitesse ? Avec quelle formation ? Comment susciter l’acceptation ? Le tout pour faire naître les générations d’experts nécessaires au fonctionnement des machines. Comment forcer un gain collectif dans un monde de plus en plus tourné vers l’individuel ? Le défi est lancé aux universités pour qu’elles s’adaptent à l’évolution quotidienne de la réalité.
Les universités sont conservatrices mais leurs étudiants s’adaptent très facilement aux changements et à la demande collective. Il faut donc les écouter. Leur utopie est nécessaire.
Il va falloir améliorer le processus d’apprentissage, la formation à l’utilisation de la machine nouvelle, à la digitalisation de la fabrication. La pluridisciplinarité apparaît comme nécessaire. L’intelligence collective se développe et le dialogue homme/machine aussi.
L’usine 4.0 émerge. Compassion, altruisme, bienveillance, émotion doivent être préservés pour éviter la fracture profonde qui guette entre ceux qui savent analyser, prédire et lesautres.L’entreprise sera décloisonnée. L’autorité changera. Elle organisera la connaissance afin de mixer les technologies. Dans le recrutement des chercheurs, des signes apparaissent : on prend en compte beaucoup plus la dimension culturelle du candidat, et donc la variété de ses implications culturelles et sociales. Le partage de ses connaissances et l’intérêt pour l’interaction au sein d’une équipe sont des qualités recherchées. La pluridisciplinarité doit conduire les gens de métiers divers à innover ensemble et à apprendre en continu,ensemble.
Les étudiants se réinventent en permanence par la diversité de leur milieu. Ils ont conscience que la bonne université est celle qui les forme à l’échange des connaissances au sein d’une équipe interdisciplinaire qui dépasse les frontières et mélange les champs des connaissances. Il faut apprendre à apprendre. Ce sera de plus en plus indispensable au sein de l’entreprise. A quel rythme l’évolution peut-elle se produire ? En fait, c’est moins la vitesse que l’agilité intellectuelle qui compte. Une équipe qui se connaît depuis longtemps est plus efficace, ce qui infirme la nécessité de la vitesse. La confiance se construit dans le temps. Il faut libérer les énergies et lescanaliser.
La rapidité est cependant une exigence pour permettre à l’entreprise de progresser dans son marché. Là, le numérique doit être pensé dès le début d’un projet et ne pas être considéré que comme un outil. L’intelligence collective enrichit la compétence commune.
Énergie, mobilités, automatisation de l’immeuble, gouvernements et décisionnaires locaux, sont les domaines concernés. La cybersécurité aussi. Comment la vie du e-habitant va-t-elle s’organiser ? Faut-il un « technology officer » dans les villes ? Comment décloisonner ces villes ? Ce sont les enjeux de la e-cité. L’ouverture des données estessentielle.
La mise à disposition des data vers le client final, l’utilisateur du réseau de transports et d’eau par exemple, est réelle désormais afin d’optimiser ces consommations en matière de fiabilité et de coût. Mais les industriels sont plus rapides dans l’adaptation que les décideurs publics, encore très cloisonnés dans leursesprits.
Pourtant les villes vont devoir s’adapter rapidement aux véhicules autonomes qui vont constituer une alternative importante aux transports en commun et aux taxis qui deviendront volants. Les projets sont nombreux dans le domaine de « smart city ». La gestion du trafic en fait partie et permet à Grenoble par exemple de gérer les feux en traitant des données sur une séquence de 10 km en continu. Gestion de l’utilisation de vélos en location à Bordeaux, gestion de l’optimisation de l’énergie thermique en immeuble à Dijon : les unités de recherche, l’agglomération, et les industriels travaillent ensemble.
La sécurité sera importante et intégrera des volumes de données considérables. Données de comportement par exemple observées sur chaque individu et analysées sur un groupe ou une foule. Les caméras de surveillance pourront ainsi anticiper des dysfonctionnements.
Les data sont importantes mais l’essentiel est de modéliser les comportements et les fonctionnements à partir de ces data. Cela permet de ré-imaginer les villes et de les adapter aux populations.
Si l’on interroge les populations, on voit que les citoyens souhaitent des services souvent différents de ceux qu’imaginent les décideurs locaux dans l’utilisation des data.
Les filières collaborent entre elles et trouvent des interconnexions comme santé/ transport etc.
Cela permet d’imaginer de nouveaux services qui sont autant de solutions à des problèmes concrets et très différents d’une ville à l’autre. Par exemple, à Mexico, championne mondiale de la criminalité, le filtrage acoustique des bruits pour identifier celui d’un tir d’arme à feu associé à une localisation par triangulation a permis de faire passer le délai d’intervention des secours et de la police de 13 à 3 minutes.
Dans la conception de la « smart city », la dimension éthique, de la science humaine et sociale doit être très prégnante tout comme le développement durable. Le but ultime reste le service au citoyen.
Nous devons co-évoluer avec l’intelligence artificielle. Peut-on doter des machines de conscience ? L’interactionentre l’homme et la machine implique que l’homme garde la maîtrise de la machine. L’homme doit garder la maîtrise de la maintenance de la machine et celle du process de production. La donnée élémentaire collectée doit être traitée humainementpour détecter et prendre les décisions. La connexion du monde physique se développerapidement.
L’intelligence artificielle est indispensable pour gérer les infrastructures et les donnéesrecueillies par les applications. Il est indispensable de développer la réflexion et le raisonnement sur ce que fournissent les data. Autonomie humaine contre autonomie de la machine?
La Voiture autonome est un cas très actuel car très proche, de réflexion intense : en cas d’accident grave, la voiture va-t-elle choisir de tuer le piéton ou le passager de lavoiture autonome ? Parmi les piétons concernés, que doit-elle choisir : tuer l’enfant ou le vieillard ? Ces questions bien concrètes et réelles nous disent qu’il ne faut pas s’abandonner aveuglément à la machine. Le regard critique des jeunes, qui seront concernés par ce nouveau monde et le sont déjà, devrait être plus acéré car ils sont trop souvent crédules. Leur fascination sans nuance devant l’écran et les réseaux sociaux est, on le sait,nuisible.
Par ailleurs, sur le plan du droit, la sécurité juridique des données est souvent incertaine. Elle est prise en compte en Europe où elle fait partie intégrante de la personnalité.
Allons-nous vers une intelligence collaborative ? L’intelligence artificielle nous fait, semble-t-il, moins peur que la stupidité naturelle. Le cerveau planétaire qui s’annonce, généré par la mise en commun universelle des connaissances, risque de diluer le bon sens critique individuel. Lequel s’enfermera dans des connaissances closes hermétiquement. Ce qui est valorisant et le sera toujours ce n’est pas la connaissance elle même mais le sens de la connaissance. Ce qui fera la différence c’est la confiance. Évident pour la médecine, moins pour le financier… L’intelligence est-elle la fin du libre arbitre ?
Les risques courus sont sans doute ceux qui proviendraient de décisions quotidiennes artificiellement inspirées par un système extérieur d’intelligence et de connaissances suggérées qui priveraient, dans la vie de tous les jours, de leur véritable autonomie le citoyen, le politique. L’intelligence artificielle présente des aspects terrifiants quand elle s’applique, par exemple, aux armes rendues autonomes au sein d’une armée au combat.
Les révolutions industrielles précédentes faisaient appel aux qualités musculaires, la révolution présente les qualités intellectuelles et la grâce féminines. Data, algorithmes, empathie, collaboration, la machine dépasse la machine.
Il s’agira de protéger les données et la confiance, et d’apporter l’intelligence artificielle à tout le monde même si elle nous transporte dans une zone d’inconfort et d’ambiguïté.
Pour dominer ce phénomène il nous faut créer le mythe de l’intelligence artificielle qui sera le mythe originel comme l’exige chaque science : Icare pour l’aviation, Prométhée pour la machine, le Golem pour la science engénéral.
A propos du Technion –www.technion.ac.il/en
Le Technion – Israel Institute of Technology, dont l’un des pères fondateurs est Albert Einstein, fût fondé en 1912 sur les hauteurs du mont Carmel à Haïfa en Israël. Dès sa création, le Technion s’est fixé pour mission de former les hommes et les femmes qui construiront le nouvel État. Cette mission explique son succès dans le monde et lui permet de nouer des partenariats académiques avec les plus grandes universités internationales (Jacobs Technion - Cornell Institute, NYC, Institut de Technologie Technion Guangdong (ITGT), Chine). Classée 18ème meilleure école en informatique et 43ème en ingénierie par le prestigieux classement de Shanghai et 6ème dans le monde pour l’entrepreneuriat et l’innovation d’après l’enquête du MIT, Le Technion compte à son actif 18 facultés, 14 000 élèves, 60 centres de recherche et 2 prix Nobel de Chimie attribués à 3 Professeurs. Les sociétés dirigées par les diplômés du Technion représentent 51% de l’export industriel israélien, et 41 anciens diplômés sont listés au Dun & Bradstreet’s List du Top 125 Businessleader.
A propos du Technion France – www.technionfrance.org
Le Technion France a pour but de développer, valoriser et promouvoir le Technion, Israel Institute of Technology, dans les différents domaines scientifiques, technologiques, d’entrepreneuriat, ou encore d’éducation en France et en Europe Francophone. Il joue également un rôle de relais d’information et de Networking grâce à la mise en place de colloques, d’évènements et de conférences en France, et toujours appuyé par des intervenants de qualité : Professeurs, Chercheurs, Ingénieurs, Chefs d’Entreprises devenus des success stories, français et israéliens du Technion. Il initie, développe et concrétise des coopérations industrielles avec des entreprises mondialement connues comme avec Total, Veolia, Sanofi, Servier, ou encore Havas Media. Enfin, et dans la continuité de la mission d’éducation du Technion, il aide financièrement et matériellement l’université dans son développement et sa recherche de nouveautés scientifiques, et apporte de l’aide aux étudiants. Le Technion France permet aussi à tous les futurs étudiants français - qui souhaitent partir étudier à l’étranger - de comprendre, connaître et appréhender une future entrée dans cette université prestigieuse, et de découvrir les partenariats qui existent avec des écoles de renom : L’Ecole Polytechnique, L’Institut Mines Télécom, Paris Sciences & Lettres, CentraleSupélec et biend’autres.
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